Simple évolution de la RSE ou vraie opportunité de transformation des entreprises ? On vous dit tout sur le métier de Chief Impact Officer.
C’est quoi, le métier de Chief Impact Officer ? Le 1er février dernier, on a posé la question à 5 personnalités incontournables sur le sujet. Dans cet article, on vous résume les grands apprentissages de cet échange en répondant concrètement aux questions posées par les 750 personnes présentes à la table ronde.
”Avant, l’impact, c’était une 5e, 6e, 7e roue du carrosse. Aujourd’hui, c’est en train de venir la roue principale, voire les chevaux !”
- Jean-Gabriel Levon, Chief Impact Officer de Ynsect
Depuis quelques mois, le métier de Chief Impact Officer fait parler de lui en France. Apparu dans les start-ups aux Etats-Unis, ce nouveau poste, que l’on pourrait traduire en “Directeur ou directrice de l’impact”, souhaite réconcilier les enjeux d’impact et de business.
On est vite tenté de se demander si ce nouveau titre n’est pas un simple “coup marketing” de la “start-up nation” pour moderniser les historiques fonctions RSE ou développement durable. La réalité est bien plus complexe (et intéressante) !
Alors, concrètement, ça veut dire quoi d'être CIO ? Quel périmètre d’action, quelle organisation, quels indicateurs de performance, quels challenges ? Finalement, est-ce une vraie bonne nouvelle face aux urgences sociales et environnementales ?
Ce sont les questions que l’on a posées le 1er février 2022 à 5 personnalités qui vivent le sujet au quotidien :
Dans cet article, on vous résume les grands apprentissages de cette table-ronde. Et pour vous simplifier la lecture, on vous donne directement les réponses aux questions posées par les 750 personnes présentes pour y assister en ligne.
Julie est Impact Manager chez Ecovadis, outil digital international d’évaluation de la RSE. Elle souligne que l’émergence de ces nouveaux métiers est directement liée au fait que l’on parle de plus en plus des enjeux sociaux et environnementaux dans les entreprises. Et cela depuis plusieurs années.
”Il y a une prise de conscience autour de l’urgence, et notamment du changement climatique, qui pousse les entreprises à un changement de paradigme et à mettre leur impact sur la société et la planète au coeur de leurs stratégies.”
- Julie de Mony Pajol
La raison d’être du métier de Chief Impact Officer dépend ensuite de la mission de l’entreprise.
On peut en effet distinguer les entreprises “impact native”, c’est à dire dont l’impact est au coeur du business model (comme cela peut être le cas dans la santé, l’environnement, l’éducation, l’alimentation...) ; et les autres entreprises.
La mission d’Ynsect est directement en lien avec des enjeux d’impact : réinventer la chaîne alimentaire pour répondre aux challenges sociaux et environnementaux.
Pour Jean-Gabriel, avoir une personne dédiée à la mesure et au pilotage de l’impact chez Ynsect est une condition sine qua non d’existence de l’entreprise.
“Si on n’arrivait plus à prouver qu’on n’a pas un impact significatif sur la planète, on fermerait la boîte.”
- Jean-Gabriel Levon
Julie fait un constat similaire pour Ecovadis. Pour elle, remettre l’impact au coeur du business dans une période de forte croissance de l’entreprise est une nécessité :
“La mission d’impact était évidente quand on était 100. Quand on lève 200M d’euros comme ça a été notre cas en 2020, et qu’on devient 1000, c’est nécessaire de remettre cette logique d’impact au coeur des priorités.”
- Julie de Mony Pajol
Audrey Yvert, elle, est Head of Impact chez Openclassrooms, école en ligne aux métiers en croissance. Elle nous raconte :
”Je suis arrivée dans une entreprise qui était déjà Bcorp, entreprise à mission. Une grande partie de mon rôle est de dire, comment on fait en sorte de certifier notre impact avec des indicateurs fiables et clairs ?” - Audrey Yvert
Sur le sujet, le témoignage de Kat Borlongan, CIO chez Contentquare, est riche d’intérêt.
”Il y a une espèce de dichotomie entre “les gentils de l’ESS” et “les méchantes licornes”. Je trouvais cette dichotomie dangereuse. Surtout qu’aujourd’hui, ces startups en forte croissance sont motrices de l’économie.”
- Kat Borlongan
Alors pourquoi et comment intégrer les enjeux d’impact au coeur de la stratégie d’entreprise dont le business ne se base à l’origine pas sur ces questions ? Pour Kat Borlongan, il faut revenir à la source : la mission profonde de l’entreprise.
”Contentsquare, c’est une plateforme pour permettre aux marques de créer de meilleures expériences digitales sur leur site et apps. C’est quoi le lien avec l’impact ? En parlant avec le fondateur, j’ai découvert la mission de Contentsquare, qui est bien cachée sous beaucoup de couches de sales et de marketing : rendre l’expérience digitale plus humaine.”
- Kat Borlongan
Selon elle, Contentsquare se devait de nommer une Chief Impact Officer tout simplement pour assurer sa pérennité sur le long terme dans une société où l’on a plus d’autre choix que de se transformer.
Chaque Chief Impact Officer a un métier différent. Leur quotidien dépend du secteur, de la taille et la mission de l’entreprise.
Comme le dit Kat Borlongan :
“Personne dans ce panel n’a le même job. Il y a, au maximum, 25% de points communs entre nos métiers. Ce qui nous rend similaire, c’est qu’on s’attaque à la même mission.”
- Kat Borlongan
Néanmoins, des similitudes existent sur les champs d’actions traités par les Chief Impact Officer :
Pour Julie de Mony Pajol, le rôle de Chief Impact Officer est simple : définir des objectifs d’impact et de les placer en amont des décisions, en s’inspirant de ce que font les ONG depuis longtemps.
Certes, ce nouveau métier surfe sur un effet de mode, avec le terme “impact” qui paraît plus tendance que “responsabilité”.
Mais si on part de l’analyse sémantique, comme le souligne Bettina Reveyron, Social Impact Lead chez Doctolib, “le terme “Impact” porte en lui une obsession, celle de savoir ce qu’on fait pour changer, au quotidien, la vie des gens”. C’est ce qui crée, selon elle, la différence majeure entre CIO et RSE, car “cette obsession s’est traduite dans des mesures et des actions au service d’une transformation très concrète”.
Les grands chantiers des départements RSE (enjeux sociaux, environnementaux et sociétaux) sont assez proches de ceux des départements Impact.
Mais pour Bettina Reveyron, les dimensions d’impact intègrent davantage des enjeux “externes”, qui se basent sur la raison d’être de l’entreprise. Dans le cas de Doctolib, cela se concrétise notamment par des actions de plaidoyer pour pousser la mission de l’entreprise, qui est d’étendre l’accès au soin au plus grand nombre ; par exemple en mettant en place des actions ou des partenariats pour lutter contre les déserts médicaux.
Le poste de Chief Impact Officer intègre une particularité spécifique : le fait d’intégrer l’impact tout en haut de la pyramide organisationnelle.
Les Chief Impact Officer sont en effet des “C-level” - autrement dit, ils figurent au comité exécutif de l’entreprise - et ont donc un fort pouvoir décisionnel et stratégique.
Pour Jean-Gabriel Levon, membre de l’équipe de fondatrice de Ynsect, son arrivée sur le rôle de CIO est particulièrement significative.
“En tant que fondateur, prendre ce rôle de CIO, c’est un signal très fort qu’on veut envoyer. Je suis au board de l’entreprise, je suis revenu au Comex via mon rôle de CIO, ça montre que ce sujet est central !”
- Jean-Gabriel Levon
Les départements RSE sont quasi-systématiquement confrontés à un challenge important : la difficulté de confronter les enjeux sociaux et environnementaux avec les enjeux business.
Le rôle de Chief Impact Officer s’est construit sur cet enjeu : avoir des rôles dédiés à l’impact au sein des instances de direction nécessite de repenser le business model des entreprises.
En effet, l’impact (social, environnemental) n’est plus seulement une “externalité” positive ou négative que l’on va tenter d’augmenter ou de réduire : il devient un critère inhérent à l’activité de l’entreprise, directement corrélé à sa raison d’être.
A nouveau, le témoignage d’Audrey Yvert sur le sujet est éclairant. Chez Openclassroom, sur leurs 3 indicateurs clés de performance, 2 sont en lien avec l’impact :
“Nous avons un indicateur (KPI) sur le revenu pour mesurer notre croissance ; un indicateur sur le bien-être de nos équipes (NPS, Net Promoteur Score) et un indicateur sur l’impact de notre activité sur nos étudiants (ont-ils trouvé un job suite à leur formation, sont-ils satisfaits des cours...).”
- Audrey Yvert
L’impact devient donc un indicateur de succès de l’entreprise, au même titre que les résultats commerciaux.
Comme l’explique Julie de Mony Pajol :
“La différence entre Impact et RSE, c’est qu’on est passé de “je monitore mes externalités” à : “je définis des objectifs d’impact qui vont venir en amont, et qui vont venir guider les décisions”.”
- Julie de Mony Pajol
Le greenwashing, c’est le fait qu’une organisation donne une image trompeuse de ses actions autour de l’écologie et de la lutte contre le réchauffement climatique. Et il arrive fréquemment que les entreprises soient accusées de greenwashing lorsqu’elles communiquent en externe sur leurs actions RSE.
Bettina Reveyron nous raconte :
“Quand j’explique ce que je fais chez Doctolib, on me dit parfois : ”Ah tu fais du Greenwashing !” ou “Mais est ce que c’est vraiment sincère ?”. C’est le procès qu’on fait à nos métiers.”
- Bettina Reveyron
Kat Borlongan partage ce constat :
“Le jour ou je suis devenu CIO de Contentsquare, j’ai reçu beaucoup de commentaires sur le greenwashing de la démarche alors que je n’avais pas encore parlé des actions concrètes qui allaient être mises en place.”
- Kat Borlongan
C’est ici l’intention qui est jugée : pourquoi une entreprise, dont l’objectif viscéral est de générer du profit, voudrait vraiment améliorer son impact sur la société ?
Bettina Reveyron recommande justement de se focaliser sur les faits et les actions menées.
“C’est un peu comme s’il devait y avoir une pureté de l’intention. Mais je ne suis pas dans le coeur du fondateur de Doctolib, mais j’ai l’impression que la démarche est sincère. Et puis de toute façon, la question ne devrait pas se poser, il faut juger sur les faits.”
- Bettina Reveyron
Pour Jean-Gabriel Levon, les CIO sont les “gardiens de la raison d’être de l’entreprise” : à partir du moment ou l’entreprise a une utilité, leur rôle est de la concrétiser.
Enfin, pour apprendre à détecter le greenwashing, Kat Borlongan nous donne quelques conseils :
“Pour les entreprises dont la raison d’être n’est pas dans l’impact, il y a des questions intéressants à se poser :
· Où est ce qu’ils mettent la RSE ? Sous le marketing ? Sous les RH ? Cela en dit beaucoup sur ce qu’ils font.
· Comment est élaboré le budget ? Ce n’est pas une question de beaucoup ou pas beaucoup de budget, mais de la façon dont il faut se battre ou non pour obtenir une ligne budgétaire.”
- Kat Borlongan
La façon dont les entreprises intègrent l’impact à leur budget est en effet révélatrice. Chez Contentsquare, le budget Impact est traité comme “une taxe que l’on s’impose à nous même, en % de revenu fixe”. Chez Ynsect, ce budget est directement intégré aux coûts de production.
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